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Ne soyons pas de la chair à patron

Chaque jour, des dizaines d’entreprises en France, et dans notre département, réouvrent aux dépens de la sécurité sanitaire. Si la pertinence et la nécessité de la réouverture font débat, intéressons-nous concrètement aux moyens de prévention et de protection de la santé des salariés mis en place dans les entreprises qui ont poursuivi leur activité ou qui se préparent à la reprendre.

Dans un contexte de dérégulation totale, de nombreux employeurs s’affranchissent volontairement de leurs obligations. Les employeurs demandent à leurs salariés d’appliquer des processus pour respecter les gestes barrières inapplicables, car les patrons ignorent bien souvent les conditions réelles d’exercice du travail.

Parmi les établissements ayant maintenus l’activité, nous retrouvons les secteurs actuellement en première ligne : sanitaire, médico-social, commerce, industrie agroalimentaire… Mais d’autres, comme la filière automobile ou le bâtiment engagent depuis plusieurs jours une reprise de l’activité, alors même que la crise sanitaire est encore loin d’être jugulée. Pourtant ces activités sont loin d’être « essentielles et vitales » … Les travailleurs de ces entreprises, par l’intermédiaire de leurs représentants, ne manquent pas de tirer la sonnette d’alarme, voire d’exercer des droits de retrait. Car au-delà du défaut de masques, c’est aussi la faiblesse, voire l’absence du dialogue social qui les alarme.

La situation d’Amazon France en est un exemple frappant : le tribunal judicaire a condamné l’entreprise non seulement pour l’insuffisance des mesures de protection mais également pour le non-respect de ses obligations vis à vis des instances représentatives du personnel.

Les mesures de protection imposées par les employeurs ne sont pas pensées collectivement et ne sont aucunement nourries par la réflexion et l’avis des salariés et de leurs représentants. Or les employeurs sont souvent décalés, déconnectés de la réalité du travail. Ainsi ces mesures s’avèrent, inefficaces, voire trompeuses et risquent, in fine, de conduire non seulement à la poursuite du drame sanitaire, mais également à l’émergence de nouveaux risques indirects : risques physiques mais aussi risques psychosociaux.

En effet, appliquer les « gestes barrières » se traduit trop souvent par des déplacements plus nombreux ( postes davantage espacés) , des ports de charges (impossibilité de s’entraider) , une polyvalence accrue (un salarié exécute les tâches de plusieurs  postes en raison des absences ou des horaires modifiés), une longue attente avant de pouvoir se restaurer (roulements au réfectoire pour limiter les attroupements), mais aussi par des amplitudes horaires extrèmes (possibilité aujourd’hui de travailler jusqu’à soixante heures par semaine, par la parution récente d’une ordonnance gouvernementale).

De plus, ces mesures, martelées par le gouvernement, donnent lieu à une responsabilisation des employés en lieu et place des employeurs !   « Se laver les mains, respecter la distanciation sociale, nettoyer, désinfecter, attendre, etc.» :  ces conseils, prennent un caractère d’injonction et l’on voit même se développer des dispositifs de surveillance (chez Amazon, encore), voire de sanctions lorsqu’un salarié ne les respecte pas !

Pourtant, lorsque les salariés s’affranchissent de ces consignes, c’est bien parce qu’ils ne peuvent souvent pas faire autrement pour réaliser correctement leur travail…

Comment en effet concevoir, sur un chantier de bâtiment ou de collecte ou de tri des déchets, que les ouvriers ou agents se lavent les mains aussi régulièrement que cela est recommandé ? Comment dans ces mêmes métiers respecter le mètre de distance règlementaire alors qu’il faut sans cesse s’atteler à plusieurs à la tâche? Combien de risques nouveaux physiques vont ainsi apparaitre en cascade : exemple aussi des salariés des « drive » qui chargent des tonnes de marchandises par jour dans les coffres des clients !

En matière de risques psychosociaux, l’insécurité au travail (crainte de contaminer les siens et de se faire sermonner par le chef) et l’intensification du travail (maintien de cadences élevées alors que l’organisation est dégradée ) vont générer aussi des troubles de la santé mentale, en plus de l’usure de l’organisme.

Evoquons ici aussi la question du télétravail, institué en urgence sans signature d’accord avec les syndicats. L’articulation difficile entre vie familiale/vie professionnelle, les risques d’affection du dos et des articulation,  troubles visuels et le stress chronique ne tarderont pas à se manifester au regard des conditions souvent délétères dans lesquelles les salariés travaillent à leur domicile : sans matériel adapté, dans un environnement bruyant, exigu, aux prises avec des interruptions fréquentes de tâches voire même parfois avec un management intrusif : contrôles inopinés, appels téléphoniques et visio-réunions qui se succèdent à un rythme effréné …  

Ne laissons pas les patrons imposer leurs règles.

Nos vies valent plus que leurs profits