Tout le monde souhaite que la vie normale reprenne : ce serait fabuleux si, le 11 mai, les enfants pouvaient reprendre le chemin de l’école et leurs parents celui de leur travail… Mais malheureusement ça ne pourra pas être le cas : en tenant compte des éléments dont on dispose actuellement, il est évident qu’il est très difficile de rouvrir les écoles de 11 mai sans faire courir un grand risque à la population française !
Des annonces ont été faites mardi 21 avril par le ministre de l’éducation nationale mais la complexité de la mise en œuvre de cette « rentrée » – par niveaux, par demi groupe, une semaine sur deux etc. – révèle une totale et dramatique impréparation du « déconfinement ». Alors que la barre tragique des 20000 morts a été dépassée, il n’est pas acceptable de jouer avec la vie de nos enfants et des personnels de l’éducation nationale.
Quel est le risque majeur de la réouverture des écoles ? Ce risque est clair : c’est qu‘il y ait une « deuxième » vague de la pandémie. Après cinq semaines de confinement, nous sommes sur un « plateau » très élevé, bien au-delà des capacités maximales d’accueil en réanimation dont dispose la France. Dans trois semaines, alors que la pandémie sera à peine maîtrisée et que les personnels soignants seront épuisés, la réouverture des classes risque de faire bondir, de manière exponentielle, le nombre de nouvelles contaminations et donc de patients à prendre en charge. Rouvrir les écoles si tôt, c’est presque l’assurance de devoir les refermer quelques semaines plus tard avec des services d’urgence engorgés et des malades qui se compteront à nouveau par milliers.
Si le risque de rebond est aussi grand, c’est d’abord parce que, dans les écoles, les collèges et les lycées, il est impossible de faire respecter les gestes barrières et de maintenir une distanciation sociale, dans des locaux inadaptés – couloirs, cantines, toilettes etc. Ensuite, c’est parce que les enfants sont des vecteurs de contagion. Certes, comme par hasard, se multiplient sur les chaînes d’information continue les interventions de médecins qui prétendent qu’il est sans danger pour les enfants de retourner à l’école. Pourtant, il est faux d’affirmer que le COVID-19 ne touche pas les enfants et qu’il est sans danger pour eux. Enfin, même asymptomatiques, les enfants peuvent contaminer leurs propres parents et bien évidemment leurs enseignants (ce qui n’effleure même pas l’esprit de certains « journalistes ») ! Le conseil national de l’ordre des médecins, l’INSERM, des fédérations de parents d’élèves, les maires de villes telles que Lille ou Montpellier ainsi que les syndicats enseignants, nombreuses sont les voix qui se font entendre contre la réouverture des écoles le 11 mai. Alors que plusieurs autres pays (Italie, Portugal etc.) ou villes (New York) ont fait le choix de ne fixer la rentrée qu’en septembre, le gouvernement a décidé de rouvrir les écoles dès le 11 mai sans aucune concertation ni assurance de disposer des moyens pour le faire dans des conditions d’hygiène acceptables : il fait courir ainsi un risque terrible à la population française dans son ensemble.
Pari risqué certes, mais « il faut faire repartir l’économie », écrira tel éditorialiste ; « dilemme cornélien » selon la « journaliste » A. de M. ; « le remède ne peut être pire que le mal » dira, à la suite de Trump, notre ministre de l’économie, plus honnête que le président Macron qui a instrumentalisé honteusement les élèves décrocheurs des milieux « défavorisés » pour justifier la réouverture des classes. Le discours économiste prétendument réaliste est critiquable à plusieurs niveaux. D’abord, il n’y a pas de « dilemme cornélien » : la vie de travailleurs passe avant les profits… un point c’est tout ! Ensuite, le problème de l’économie va se reposer de la même manière, en cas de déconfinement prématuré, si, quelques semaines après le 11 mai, il faut reconfiner la population suite à un rebond de la pandémie, faute d’avoir attendu le temps suffisant pour pouvoir la maîtriser et de disposer des moyens nécessaires afin d’y parvenir (tests massifs, masques etc.). Enfin, l’école n’est pas la garderie bon marché du Medef.
Avant d’évoquer dans un prochain billet les solutions alternatives pour l’économie – il est bien évident qu’il faut faire « repartir » l’économie mais pas de manière aussi dramatiquement imprudente – méditons la mise en garde de La Fontaine dans l’une de ses fables : « les conseilleurs ne sont pas les payeurs ». Il est effectivement facile pour certains éditorialistes, journalistes ou médecins qui roulent pour Macron et la classe dont il défend les intérêts de se pavaner sur des plateaux télé en trouvant de bonnes raisons d’envoyer leurs concitoyens et leurs enfants au casse-pipe. Bien à l’abri, ils conseillent à tout va mais ne paieront pas… Nous avons le droit et le devoir de leur dire bien nettement : « vous ne pourrez pas dire : ‘‘on ne savait pas’’ ». Oseront-ils, en cas de rebond dramatique de la pandémie, reconnaître qu’il s’agissait d’un risque « acceptable » qu’il fallait prendre pour grappiller quelques miettes de PIB ? Auront-ils le front d’aller expliquer à une institutrice en réanimation ou à un enfant en détresse pulmonaire qu’ils n’avaient pas tous les éléments pour évaluer les risques ? Qu’ils sachent qu’ils auront des comptes à rendre !