En pleine crise mondiale du coronavirus ,qui ébranle les assises de notre monde, on assiste à un véritable élan de solidarité de nos élites. Du fondateur de Twitter donnant un milliard de dollars pour lutter contre le coronavirus, au ministre Darmanin lançant une sorte de Téléthon pour l’hôpital public, en passant par les multiples entreprises qui font des dons de matériel, des initiatives venant des classes supérieures ont été mis en avant et valorisés.
Au delà du débat sur le caractère moral ou non des dons et de leur promotion , ce qui me semble intéressant c’est de voir ce que ce phénomène dit de notre société.
Dans les cités antiques les citoyens riches afin de gagner en notoriété et de progresser sur l’échelle sociale, finançaient sur leur fonds propre des biens publics. On appelait ce phénomène évergétisme. Ainsi un grand nombre des monuments de cette époque que nous admirons tant sont issus de ce phénomène de compétition entre les élites de l’époque. Ce système opéra en quelque sorte comme un palliatif face aux insuffisances des pouvoirs publics.
De notre point de vue contemporain cela peut passer pour la marque du civisme exacerbé des élites antiques conscientes de leur devoir et guide des masses. Un discours assez présent afin de comprendre les inégalités et les tensions sociales qu’elles génèrent mettent en avant l’idée d’une « décadence » de nos élites. Elles seraient plus à la recherche de la satisfaction de leur propre plaisir et souhaitant se soustraire à leur devoir. Afin de prouver cela on met en avant la tendance de plus en plus forte à l’optimisation ou à l’évasion fiscale des plus riches .
Cette vision moraliste de la société particulièrement présente à droite et dans la gauche « moderne » a l’avantage de ne jamais s’attaquer aux fondements de la société et du système capitaliste. Au contraire il faut plutôt s’attacher à décrire ce que dit cette pandémie de notre société .
Cet empressement à mettre en avant ses millions et à faire preuve de générosité de la part de nos riches est la marque d’un nouvel état d’esprit face à l’effort demandé à chacun dans la solidarité nationale. Surtout lorsqu’on le met en parallèle avec leur refus de payer l’impôt. On a ici un retour à l’esprit evergetique, avec la volonté des riches de choisir ou va leur argent et à se servir de cela comme une marque de civisme. Cet état d’esprit est favorisé par des dispositifs comme la défiscalisation au 2/3 des dons faits aux associations. Bien entendu, cette générosité s’accompagne d’un affaiblissement de l’État, privé des moyens d’agir et qui doit se reposer sur le bon plaisir de mécènes.
Ce qu’on peut appeler le neo-evergetisme c’est la volonté des riches de dépenser selon leur bon plaisir leur argent en faisant montre de leur qualité humaniste….En conséquence l’impôt est montré comme un outil inefficace vampirisant les ressources les ressources des riches pour rien ( cf engraisser le mammouth). Cet état d’esprit s’il est vieux comme le capitalisme a connu un nouvel âge d’or avec l’influence de la Silicon Valley américaine et de son idéologie libertarienne, mettant en avant l’esprit responsable des dirigeants d’entreprise. L’exemple le plus commun est Bill Gates et sa fondation dotée de dizaines de milliards d’euros alors que dans le même temps son entreprise Microsoft pratique l’évasion fiscale…. On pourrait multiplier les exemples avec chez nous la fondation Pinault soutenant une certaine vision de l’art, ou encore la fondation Total soutenant des projets écologiques….On pourrait penser qu’il est positif de voir les riches se responsabiliser et dépenser leur argent dans le sens du bien commun sans passer par la case État, c’est ce que nous vendent les promoteurs du nouveau monde de la Start-up nation.
Encore une fois un retour à l’Antiquité peut apporter un éclairage. Si nous admirons tant les monuments de cette époque, force est de constater la ressemblance assez général de ces bâtiments. Ainsi on a un grand nombre de théâtre, statue, forum …. mais dans le même temps peu d’hôpitaux, écoles, greniers à blé … Ainsi on se rend compte que ces constructions répondaient à un désir de gloire des élites et non aux besoins de la population. Ainsi le système des impôts, malgré tout ces défauts, est bien plus efficace surtout lorsqu’il est associé à une véritable démocratie. On part des besoins de la population et alors on trouve les financements nécessaires au sein de celle-ci. Par conséquent on n’est pas soumis au bon vouloir de certains et c’est la communauté qui décide. L’impôt de ce fait participe à la vie démocratique. Ces fondations,dons ou actes philanthropiques, ne sont pas simplement des paravents de la domination capitaliste, ils sapent la base même de l’État social en s’entourant des beaux atours de l’humanisme bon teint. La fameuse réduction fiscale des 2/3 du don en France participe à cette logique, on laisse les gens décider d’où portera leur effort de solidarité nationale selon sa cause particulière, quitte à mettre en danger les vrais priorités. Par conséquent il faut défendre l’impôt comme principe de base de la solidarité nationale, face au neo-evergetisme qui risque de détruire notre modèle social au profit de quelques uns qui pourront être de belles âmes en défendant leur cause mais en oubliant l’essentiel de la population .
Oui à l’impôt non au neo-evergetisme !